Opinion | L’agriculture africaine, l’enjeu d’un destin commun

Le développement de l’agriculture en Afrique permettrait de sortir des millions de personnes de la pauvreté et jouerait également un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique, déclarent Pascal Lamy et Ibrahim Mayaki à l’occasion du Forum de la paix au Maroc.

Par Ibrahim Mayaki (Co-président du groupe stratégique pour les systèmes agroalimentaires à la Fondation Afrique-Europe), Pascal Lamy (vice-président d’Europe Jacques Delors)

Publié le 10 juin 2024 à 11:37Mis à jour le 10 juin 2024 à 11:59

En 2050, la population mondiale pourrait atteindre 10 milliards. Chaque année, 30 % de la planète souffre de la faim, 60 % en Afrique. Pourtant, ses vastes ressources naturelles peuvent contribuer significativement à la sécurité alimentaire mondiale.

Une solution à nos problèmes globaux

Par ailleurs, selon le GIEC , l’amélioration de l’agriculture africaine pourrait jouer un rôle contre le changement climatique : l’agriculture pourra séquestrer jusqu’à 23 % des émissions de carbone d’ici 2050. Augmenter la productivité agricole est le moyen de limiter la déforestation, responsable de 10 % des émissions et liée à 80 % à l’expansion des terres cultivées.

L’agriculture représente 60 % de l’emploi en Afrique subsaharienne. Un investissement dans ce secteur pourrait sortir des millions de personnes de la pauvreté : une augmentation de 50 % des rendements agricoles pourrait générer 300 milliards de dollars de revenus supplémentaires d’ici 2030.

Le développement agricole est essentiel pour la stabilité politique et la lutte contre les migrations forcées, peut prévenir les conflits liés aux ressources, réduire les déplacements dus au changement climatique, et offrir des perspectives économiques locales.

Ainsi, il est crucial de maximiser l’impact de nos investissements.

Des investissements insuffisants

L’Afrique a une vision commune pour l’agriculture que nous devons soutenir. Les oppositions entre climat et développement agricole rendent complexe toute tentative d’alignement entre les agendas du Nord et du Sud. Il manque une vision partagée alignée sur les priorités africaines pourtant clairement définies dans les déclarations de Malabo (2014), de Nairobi (2024), et le Plan 2063 de l’Union africaine.

Alors même que les pays africains, responsables de moins de 3 % des émissions mondiales de GES, subissent les impacts les plus sévères du changement climatique , la conditionnalité de l’aide publique au développement à des critères environnementaux est perçue comme une atteinte à leur souveraineté. Il est donc essentiel de travailler à un rapprochement, par exemple en s’accordant sur une définition commune de l’agriculture durable et sur des standards d’investissement.

L’agriculture africaine souffre d’un déficit massif d’investissements publics et privés . Le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine cible 10 % des budgets nationaux pour l’agriculture, mais peu atteignent cet objectif. Seuls 5 % du total de l’aide publique au développement sont dirigés vers l’agriculture africaine.

Les contributions philanthropiques sont insuffisantes , représentant moins de 1 % des investissements nécessaires, et les investissements privés sont faibles en raison des risques perçus. Pourtant, la FAO estime le besoin pour transformer les systèmes agroalimentaires africains à 200 milliards de dollars par an.

Une initiative de gouvernance d’ampleur nommée ATLAS

Une initiative portée par le Forum de Paris sur la Paix est lancée pour apporter des solutions à ces problèmes de gouvernance.

Plus de 20 grandes organisations représentant différents types d’acteurs et d’activités signataires de l’Appel à la mobilisation du Forum de Paris sur la Paix, proposent un nouveau consensus Sud Nord : tous les pays ont un intérêt dans le développement agricole de l’Afrique. Aucun pays ne doit choisir entre sécurité alimentaire et protection de l’environnement . Chacun peut choisir sa propre voie de développement agricole.

Pour passer des paroles aux actes, le Forum de Paris sur la Paix a lancé au Maroc l’initiative ATLAS, ce 10 juin 2024. ATLAS sera la plateforme de dialogue politique sur l’agriculture africaine dont nous avons besoin. Elle réunira les décideurs pour surmonter les blocages.

Le destin de la planète en dépend.

Pascal Lamy est vice-président du Forum de Paris sur la Paix, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du Commerce.

Ibrahim Mayaki est envoyé spécial pour les systèmes alimentaires, Union africaine, ancien Premier ministre de la République du Niger.

Pascal Lamy et Ibrahim Mayaki

TRIBUNE

Lien vers la tribune sur le site des Echos: https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lagriculture-africaine-lenjeu-dun-destin-commun-2100356