Sécurité, emploi, éducation, écologie… Le bilan d’Emmanuel Macron passé au crible

Macron veut faire de son bilan le tremplin de son projet de candidat

Le «nouveau monde» valait bien un nouveau testament. Dès l’annonce de sa candidature, en 2017, Emmanuel Macron a fait de son programme présidentiel une sorte de Bible. Une loi écrite – par lui-même – à laquelle il a promis de rester fidèle durant les cinq années de ses pérégrinations à travers le pays. «Sur tout, je fais ce que j’ai dit», a-t-il ainsi eu coutume de répéter à l’envi durant les premiers mois de son quinquennat. Comme un slogan, censé prouver qu’il allait bel et bien rompre avec les trente années de renoncements successifs de ses prédécesseurs.

D’où une première année menée au pas de charge, pour tenter de réformer tout ce qui pouvait l’être en un temps ­record. Modernisation du code du travail, suppression de l’impôt sur la fortune mobilière, ouverture de la SNCF à la concurrence, suppression du statut de cheminot, dédoublement des classes de CP et de CE1 dans certaines zones, durcissement des textes sur l’asile et ­l’immigration…

La machine, lancée, a paru impossible à arrêter. Les oppositions restant sonnées par le chamboule-tout qu’elles venaient de subir, et les grèves populaires se multipliant sans que jamais les luttes ne parviennent à coaguler. Le sentiment de toute-puissance au sommet de l’État fut alors tel que l’on en vînt à faire du zèle. Comme ce jour de juillet 2017, où Bercy suggère de rogner 5 euros sur les aides personnalisées au logement (APL) pour dégager une centaine de millions d’économie chaque année. Premier faux pas, qui en précédera d’autres. Comme la hausse de la CSG, finalement annulée pour les petites retraites de moins de 2000 euros – lesquelles ont été réindexées sur l’inflation.

Mais en dépit de la répétition de crises à l’ampleur inédite – qu’elles soient sociale («gilets jaunes»), sanitaire (Covid-19) ou diplomatique (guerre en Ukraine) –, Emmanuel Macron a tenu à ne jamais trop dévier de son programme. C’est ainsi qu’au sortir du grand débat il a par exemple choisi de lancer sans délai la défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires, ainsi que la hausse de la prime d’activité conjuguée à la ­baisse des cotisations sociales. Deux mesures présentées comme des annonces à l’époque, alors qu’elles constituaient en réalité une simple accélération de la mise en œuvre de projets déjà inscrits au ­programme.

Cette fidélité à son texte fondateur permet aujourd’hui à Emmanuel Macron de revendiquer, selon l’analyse détaillée de son bilan réalisée par Le Figaro, un taux d’accomplissement de près de 80%. Résultat honorable, dont ses changements de pied sur l’énergie (il a relancé le nucléaire alors qu’il s’était engagé sur une trajectoire contraire) ou sur le «quoiqu’il en coûte» (il avait promis une certaine rigueur dans la gestion des comptes publics) le privent du sans-faute. Sans oublier la sécurité où les résultats se sont avérés peu convaincants.

Pour autant, le président sortant est convaincu de la cohérence de l’ensemble de son action une fois mise bout à bout. Et persuadé qu’elle lui permet aujourd’hui d’en récolter les fruits, voire de capitaliser dessus pour se projeter sur un éventuel second quinquennat. «(Les Français) m’ont fait confiance il y a cinq ans, en me confiant des choses. J’ai essayé d’en faire le maximum et d’être fidèle à la vision que je portais (et) au projet. Et puis parfois je n’ai pas réussi à aller au bout (…). Mais sur les choses où je me suis beaucoup engagé, où j’ai mis beaucoup d’énergie, les résultats sont là», se félicite-t-il dans une vidéo promotionnelle de campagne publiée vendredi sur les réseaux sociaux. «Le taux de chômage est le plus bas depuis quinze ans. (Celui) des jeunes est le plus bas depuis quarante ans. Le nombre de nos compatriotes qui sont dans le marché du travail est le plus haut depuis qu’on l’enregistre. On a jamais eu autant d’apprentis dans notre pays», y ajoute-t-il. Et de conclure: «Ça marche, puisque plus personne n’en parle.» Charge à lui d’en parler, donc, s’il veut en faire un argument de campagne pour sa réélection. Comme cela semble être le cas.

ARTHUR BERDAH


Une réussite sur l’emploi, un échec sur les retraites

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

Si François Hollande avait fait de l’inversion de la courbe du chômage l’enjeu de son quinquennat, Emmanuel Macron avait promis de ramener le taux de chômage à 7% à l’issue de son mandat. Et à un mois de l’échéance, le président est en passe de tenir son pari. À l’issue de la crise, qui s’est soldée par une récession de 8% en 2020, l’emploi se porte au mieux. Le taux de chômage est retombé à 7,4 % de la population active, soit 2,1 points de moins qu’en 2017, un niveau jamais vu depuis 2008. Quant au nombre d’inscrits en catégorie A à Pôle emploi, il a reflué de 409.000 pour avoisiner 3,34 millions fin 2021. Soit un niveau équivalent à celui de… 2012, atteint grâce aux quelque 950.000 créations d’emplois, très majoritairement dans le privé, enregistrées depuis 2017.

Aux yeux d’Élisabeth Borne, ces bons résultats n’ont rien «d’un hasard» mais sont le fruit du «quoi qu’il en coûte» déployé depuis mars 2020 et des «réformes structurelles entreprises par le gouvernement» depuis 2017. Après son élection, Emmanuel Macron avait en effet dégainé les ordonnances Travail (pour faciliter les embauches) puis enchaîné avec la loi Avenir professionnel (pour démocratiser l’accès à la formation) et le plan d’investissement dans les compétences (PIC) destiné aux publics les plus éloignés de l’emploi. Reste que plusieurs ombres au tableau subsistent. Si le chômage a reflué, il s’affiche toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro (7%). Et les chômeurs de longue durée restent particulièrement nombreux.

Mais le point noir du quinquennat en matière sociale demeure la réforme des retraites (le passage à un régime universel par points) abandonnée en mars 2020, après deux années et demie de concertation et de reculade en tout genre, après son vote en première lecture à l’Assemblée. Le président n’a pas non plus réglé la question des déficits du régime, rendant inéluctable un relèvement de l’âge de départ en retraite avant la fin de l’année.

WILLIAM PLUMMER


Plus de 50 milliards d’euros de baisse d’impôts en cinq ans

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

Alors qu’Emmanuel Macron a échoué à réduire la dette publique (qui explose à plus de 110% du PIB, en partie à cause de la crise sanitaire), des efforts conséquents ont été entrepris pour atténuer la pression fiscale en France. Le chef de l’État n’a d’ailleurs pas lésiné sur la communication, insistant sur une baisse des prélèvements obligatoires de plus de 50 milliards d’euros sur le quinquennat. Du côté des ménages, le président a tenu ses promesses en engageant la suppression progressive de la taxe d’habitation sur les résidences principales d’ici 2023 en vue d’accroître le pouvoir d’achat. Depuis 2020, cet impôt local est d’ailleurs supprimé pour 80% des foyers. Et tant pis si la mesure a provoqué la colère des élus locaux.

Par ailleurs, en réponse à la fronde des «gilets jaunes», une réforme du barème de l’impôt sur le revenu pour les foyers modestes a été décidée, là encore, pour tenter d’améliorer le niveau de vie des Français. Enfin, dès le début du quinquennat, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été partiellement supprimé et remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), favorisant depuis le retour des exilés fiscaux. Cette réforme, qui suscite toujours l’ire à gauche, a en outre permis d’instaurer un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % qui réduit l’impôt sur les revenus du capital très élevé en France.

Du côté des entreprises, le taux d’impôt sur les sociétés a été ramené à 25%, la moyenne européenne, pour doper les investissements. Afin de donner un bol d’air aux sociétés frappées par la crise, les impôts de production ont également été allégés de 10 milliards (sur plus de 70 milliards d’euros) en 2021. Une mesure défendue par le patronat depuis des années mais qui reste insuffisante. Si les efforts sont réels, la France part de si loin qu’elle fait toujours partie des pays européens où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés.

MANON MALHÈRE


Institutions : une copie quasi-blanche

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

«Déverrouiller le système» par une «meilleure représentation» des forces politiques à l’Assemblée nationale, baisser de 30 % le nombre de parlementaires, limiter le cumul des mandats dans le temps, favoriser la «participation citoyenne»… En 2017, Emmanuel Macron avait promis de faire «respirer» la vie politique. Il a bien mené une loi sur la confiance dans la vie publique, une réforme de la haute fonction publique et une loi de décentralisation. Mais le chantier institutionnel n’a jamais abouti.

Engagée dès 2018 au nom de la «modernisation de la démocratie», cette réforme en trois blocs de lois – ordinaire, organique et constitutionnel – a rapidement été interrompue dans un Parlement paralysé par l’affaire Benalla. Elle a ensuite été reportée en attendant les conclusions du grand débat national, après la crise des «gilets jaunes». Elle n’a finalement jamais été réinscrite à l’ordre du jour, sur fond de bras de fer entre le gouvernement et le Sénat au sujet de la baisse du nombre de parlementaires, mais aussi de la proportionnelle. Malgré les multiples rappels de son allié MoDem, Emmanuel Macron a laissé passer plusieurs occasions de mener à bien cette révision phare du mode de scrutin, comme ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande. En matière de réforme du Parlement, il a aussi été contraint par le Sénat de renoncer à la limitation du droit d’amendement, en laquelle il voyait un moyen d’accélérer le processus législatif.

Au titre de la «participation citoyenne», plusieurs nouveaux engagements ont été formulés au sortir du grand débat national, en 2019. Certains ont à leur tour été enterrés, comme le droit de pétition au niveau local et la facilitation du déclenchement du référendum d’initiative partagée (RIP). Seule une innovation a vu le jour: la convention citoyenne sur le climat, avec 150 citoyens tirés au sort, à l’origine de propositions reprises en partie dans le projet de loi «climat et résilience» du gouvernement. S’agissant de la «modernisation» des opérations de vote, Emmanuel Macron a finalement choisi de ne pas se risquer à «généraliser le vote électronique». Même s’il semble ne pas avoir abandonné cette ambition: en lutte contre «une société de l’abstention», le chef de l’État n’a-t-il pas appelé début janvier, dans Le Parisien, à «innover» dans les «pratiques»?

LORIS BOICHOT


Un piètre bilan sécuritaire

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

Le bilan sécuritaire d’Emmanuel Macron est d’abord le produit d’un contexte: pression migratoire non jugulée (à peine 10% des obligations de quitter le territoire français exécutées et une explosion du nombre de clandestins); un an de bataille de rue avec les «gilets jaunes»; puis deux ans de crise sanitaire et, pour couronner le tout, une guerre en Ukraine, source d’angoisse et d’instabilité. L’exécutif a su conjurer la menace islamiste, mais la lutte contre la délinquance «ordinaire» a pâti des arbitrages réalisés en faveur de l’antiterrorisme notamment. D’où des résultats tangents sur la sécurité du quotidien.

Il faut dire aussi que la réponse judiciaire ne s’est guère améliorée en cinq ans. L’«entonnoir judiciaire» a ruiné bien des efforts. Gérard Collomb, Christophe Castaner et plus encore, Gérald Darmanin, ont voulu s’inspirer de Nicolas Sarkozy. Mais Belloubet a fait du Taubira et Éric Dupond-Moretti n’a pas vraiment changé la doctrine qui consiste à vider les prisons pour promouvoir des alternatives pas toujours dissuasives. Les violences n’ont cessé de croître entre-temps. La radicalisation des comportements gagne la France rurale et périurbaine des zones gendarmerie. Les DOM-TOM pulvérisent les records d’agressions.

Seule consolation: les atteintes aux biens ont diminué dans l’Hexagone. Le gouvernement s’accroche à son plan de 10.000 recrutements supplémentaires en cinq ans chez les forces de l’ordre. Puisque Nicolas Sarkozy avait trop taillé dans les effectifs. Mais la Cour des comptes a dévoilé l’envers du décor: malgré les 10 milliards d’euros consacrés, depuis dix ans, à la masse salariale de la police, en augmentation de 21%, le taux de présence sur le terrain des policiers est en baisse, selon elle. La police judiciaire? Elle doit «faire face» à 3,9 millions de procédures par an et se trouve «en difficulté», disent les «sages»: «Elle n’attire plus les policiers et ses résultats sont marqués par un faible niveau d’élucidation des délits de bas milieu de spectre», soit la délinquance du quotidien.

En 2016, le taux d’élucidation pour les homicides s’élevait à 70,3%, contre 62,6% en 2020. Concernant les cambriolages, le taux est stable mais dérisoire, autour de 10%. En revanche, pour les vols avec violence, 15,4% d’enquêtes ont été élucidées en 2020, contre 10,8% en 2015. D’après un sondage Fiducial-Odoxa pour Le Figaro publié dimanche 6 février, plus de six Français sur dix considèrent comme «mauvais» le bilan sécuritaire du chef de l’État. Le régalien n’était pas son fort au départ, mais depuis un an, il fait feu de tout bois: promesse de 15 milliards sur le prochain quinquennat pour la sécurité, assortie de la généralisation des amendes forfaitaires pour les petits délits et de la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Il annonce même le doublement du nombre de policiers «sur le terrain d’ici à 2030». Un vrai catalogue de campagne.

JEAN-MARC LECLERC


Le lycée profondément remanié

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

L’éducation, «c’est le combat de notre siècle», assurait Emmanuel Macron en 2018. Quelques mois avant l’élection présidentielle de 2017, le candidat prévoyait dans son programme de renforcer l’apprentissage des fondamentaux «lire, écrire, compter» à l’école. Pour cela, il souhaitait diviser par deux les effectifs des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire. Un dispositif mis en place dès la rentrée 2017 par son ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, à la grande surprise des équipes pédagogiques. Quatre ans plus tard, la mesure a été évaluée par la Depp, le service statistique de l’Éducation nationale. Elle en a conclu que cette initiative avait profité aux CP, moins aux CE1.

Plus tard, le Covid-19 a contraint les écoles à rester fermées deux mois lors du premier confinement. Pour éviter d’amplifier le retard des élèves, le gouvernement a ensuite tenu à assurer la continuité de l’enseignement. Une volonté forte, au prix d’une organisation kafkaïenne. Les protocoles sanitaires successifs portés par Jean-Michel Blanquer requéraient de la souplesse, sinon de l’acrobatie de l’avis des syndicats d’enseignants. Le dispositif de demi-jauge, mis en place dans les lycées, au cas par cas, a été taxé d’inégalitaire. Plus récemment, le ministre de l’Éducation a exigé que pour un élève contaminé au Covid-19 dans une classe, l’intégralité de ses camarades soit testée trois fois, imposant ainsi une logistique très contraignante pour les parents et les responsables d’établissements. Mais, alors que la perspective du retour à la normale se rapproche, Emmanuel Macron peut se féliciter d’avoir réussi à maintenir les écoles ouvertes pendant la pandémie. Autre chantier du quinquennat: la modernisation du baccalauréat.

À la rentrée 2019, les filières classiques S, ES et L ont été remplacées par un tronc commun assorti de spécialités. Ces changements avaient déchaîné la critique, notamment parce que les élèves pouvaient arrêter les mathématiques dès la seconde. Aujourd’hui, seuls 59% des terminales étudient les maths, contre 90% avant la réforme. L’abandon de la matière les empêchait à terme d’accéder à certaines formations, telles les classes préparatoires aux écoles de commerce. Il aura ainsi fallu trois ans pour que Jean-Michel Blanquer rétropédale et annonce, début février, que la matière pourrait bientôt faire partie du tronc commun. Enfin, l’accès à l’enseignement supérieur a été remanié. En 2018, la plateforme d’orientation postbac Parcoursup a remplacé la très critiquée APB. Petit à petit, les grandes écoles ont intégré Parcoursup. Les étudiants ont suivi l’arrivée de ces formations sur le site. Si bien qu’en 2021, Sciences Po a reçu plus de 15.000 candidatures, un record. De quoi créer des embouteillages inouïs.

EMMA FERRAND ET MAUD KENIGSWALD


La justice en crise malgré les hausses budgétaires

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

Cinq ans de réformes à haute dose et jamais un aussi grand désamour entre la justice et les hommes politiques, comme le prouve le rappel à l’ordre jeudi dernier de Chantal Arens. La première présidente de la Cour de cassation a reproché au garde des Sceaux de fragiliser l’institution judiciaire. Signe de cet échec, les États généraux de la justice, décidés par le président de la République à quelques mois de la fin du quinquennat, comme si rien n’avait été fait jusqu’alors. Un paradoxe, alors qu’Éric Dupond-Moretti, dernier garde des Sceaux de cette ère Macron, le martèle: jamais la justice n’aura bénéficié d’efforts budgétaires aussi importants. Comprise entre 3 et 5% en début de quinquennat, l’augmentation budgétaire s’est envolée de 8% en 2020 et 2021. De quoi porter l’enveloppe globale à près de 9 milliards d’euros. Une manne historique certes, même s’il est vrai que le monde judiciaire en tant que tel, celui des magistrats et des tribunaux n’en est pas le premier bénéficiaire. Jamais l’effort de recrutement n’a été aussi intense, 7360 professionnels en tout, dont 4500 personnels pénitentiaires. Et même si la pénurie demeure pour les greffiers – qui accusent un déficit de 1000 fonctionnaires – et pour les magistrats, jamais l’École nationale de la magistrature n’a autant recruté avec 370 auditeurs de justice pour 2022.

Nul doute que le gouvernement paye pour tous ses prédécesseurs mais aussi pour la crise du Covid, qui a fermé la justice durant trois mois. Car, malgré l’injection de monnaie sonnante et trébuchante, le lancement de la justice de proximité, celui des cours criminelles départementales, la justice est toujours en crise.

Certes, les magistrats ne se sont pas faits à la personnalité clivante de leur garde des Sceaux, qu’ils se sont empressés de clouer au pilori de la Cour de justice de la République. Mais cela ne suffit pas à expliquer le malaise d’un corps confronté à la défiance de la société. Après cinq ans de macronie, le bilan est là: malgré une réforme des peines drastique rendant les plus courtes hors la loi, les prisons sont gangrenées par la surpopulation carcérale. Il est vrai que l’on est fort loin des 15.000 places supplémentaires promises en début de quinquennat. Si les ministres successifs ont fait ce qu’ils ont pu pour lancer le chantier du numérique, l’informatique judiciaire est un désastre. De plus, les réformes engagées tant au civil qu’au pénal – qu’il s’agisse de la loi de programmation de la justice, du nouveau code pénal des mineurs ou de la loi confiance dans la justice – rendent la justice illisible pour le commun des mortels, tandis que continue de flamber la délinquance. Et avec elle, un sentiment d’impunité que les Français acceptent de plus en plus mal.

PAULE GONZALES


Europe

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L’Europe, «c’est notre histoire, notre identité, notre horizon, ce qui nous protège et nous donne un avenir». Lorsqu’il prononce ces mots à La Sorbonne, en septembre 2017, Emmanuel Macron est loin d’imaginer que deux crises historiques viendront bientôt valider son credo de voir l’Union devenir souveraine. D’abord, la pandémie qui frappe le monde début 2020 et conduit l’UE à une introspection sur ses trop nombreuses dépendances industrielles vis-à-vis des pays tiers, la Chine notamment. Puis, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui imposera à l’Union d’investir dans sa sécurité et sa défense.

Le président revient de loin. Car, avant ces crises, ses débuts à Bruxelles ont été difficiles. «Son élection a été vécue comme un soulagement par ses partenaires, le risque populiste étant écarté. Mais il a ensuite connu une perte de vitesse. Il agaçait beaucoup ses homologues parce qu’il partait dans tous les sens et faisait des cavaliers seuls», indique Éric Maurice, responsable du bureau bruxellois de la Fondation Schuman. La France mord d’ailleurs la poussière à plusieurs reprises. Le budget européen de la Défense? S’il a bien été créé, il n’est doté que de 8 milliards d’euros, loin des 13 milliards voulus par Paris. Autre revers: le budget de la zone euro voulu par Paris pour amortir les chocs économiques et mobiliser des financements pour les projets d’avenir. Consciencieusement, des partenaires de la France – l’Allemagne et les «frugaux» – videront le projet de sa substance, et la montagne accouchera finalement d’une souris. Paris ne parviendra pas non plus à arrimer les Vingt-Sept à la taxe Gafa, un projet finalement supplanté par l’imposition minimale portée par l’OCDE. Le président peut, à l’inverse, se targuer d’avoir mené certains projets à bon port, notamment la régulation des Gafa ou encore le contrôle des investissements étrangers. De même, la force européenne d’action civile qu’il appelait de ses vœux est sur les rails. Mais beaucoup reste à faire. «Dans un bastringue à 27, il n’est pas possible de faire aboutir toutes les propositions. La force d’Emmanuel Macron, c’est surtout sa vision articulée de l’intégration européenne, la permanence de cette vision et son leadership intellectuel», analyse Pascal Lamy, président émérite de l’Institut Jacques Delors. Ce leadership se révélera notamment à l’occasion de la crise du Covid, lorsque Paris parviendra à convaincre Berlin d’accepter le principe d’un endettement commun, ouvrant la voie au plan de relance européen de 750 milliards d’euros.

ANNE ROVAN (À BRUXELLES)


Écologie : des efforts insuffisants

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

«Personne n’a autant fait que nous» pour l’écologie, rétorque Emmanuel Macron aux ONG qui comme Greenpeace fustigent son «bilan catastrophique». La réalité est sans doute plus nuancée. Proclamé «Champion de la Terre» en 2018 par l’ONU, le président a voulu affirmer son leadership à l’international au moment où l’Amérique de Donald Trump se retirait des accords de Paris, de l’organisation du «One Planet Summit» à celle du«One Ocean Summit».

Au niveau national, la gouvernance climat a été renforcée par la mise en place d’un Haut Conseil pour le climat (HCC) indépendant ou celle d’un Conseil de défense écologique… qui ne s’est cependant pas réuni depuis 2020. Le président peut se targuer d’avoir tenu plusieurs promesses de campagne sur les aides à la rénovation énergétique des logements ou sur le bio dans la restauration collective et d’avoir acté l’abandon de plusieurs projets d’urbanisation controversés comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes ou le mégacomplexe EuropaCity dans le Val-d’Oise. Des avancées, mais aussi des ratés retentissants, notamment dans la transition agricole: en 2017, Emmanuel Macron annonçait la fin de l’utilisation du glyphosate dans les trois ans. La France n’a finalement que restreint l’usage du désherbant controversé. Elle a aussi partiellement réautorisé les néonicotinoïdes, ces insecticides «tueurs d’abeilles», pour les cultivateurs de betteraves sucrières. Globalement, la France n’a jamais autant investi dans l’écologie: l’Institut de l’économie pour le climat I4CE note que «les dépenses publiques favorables au climat ont doublé depuis dix ans, passant de 15 à 30 milliards d’euros par an». Un récent rapport du think-thank Terra Nova évoque toutefois un déficit de vision claire, «un bourgeonnement assez confus avec des politiques se superposant et une difficulté d’en évaluer la mise en œuvre effective». Difficile par exemple de savoir ce qu’il restera vraiment de la convention citoyenne pour le climat, exercice inédit de démocratie né de la crise des «gilets jaunes», dont les propositions ont été en partie reprises à des degrés variables (et souvent contestés) dans la loi climat et résilience.

Quoi qu’il en soit, et au-delà des ambitions futures de Macron concernant le nucléaire et l’éolien offshore, le HCC rappelle qu’à l’heure actuelle les efforts engagés restent insuffisants pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (de 40% d’ici à 2030) définis par la stratégie nationale bas carbone… et encore moins ceux fixés par le nouvel engagement européen (- 55% d’ici à 2030) que la France a soutenu. «En raison du retard accumulé (…), le rythme actuel de réduction annuelle devra pratiquement doubler», notait l’instance l’an dernier. La France, condamnée par la justice pour ses manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique, est notamment en retard dans le secteur du renouvelable (19,1% de sa consommation d’énergie en 2020 contre les 23% prévus dans la loi).

ANNE-LAURE FRÉMONT


PMA, IVG, fin de vie : la majorité à la manœuvre

LE BILAN, PROMESSE PAR PROMESSE

Valéry Giscard d’Estaing a eu la légalisation de l’IVG; François Mitterrand, l’abolition de la peine de mort; François Hollande, le mariage homosexuel. Quel sera le grand «marqueur sociétal» d’Emmanuel Macron? En privé, l’aile la plus à gauche de la majorité ne cache pas sa déception: l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes célibataires et aux couples de femmes, permise par la loi de bioéthique du 2 août 2021, ne saurait être mise sur le même plan.

Une réforme obtenue sur la seule «mobilisation des parlementaires, qui ont dû créer un rapport de force avec le président de la République et le gouvernement», peste le député ex-LREM Guillaume Chiche, et «a minima» – comprendre, sans la PMA post mortem ou pour les transgenres. «Ce que nous avions annoncé, nous l’avons tenu. Nicolas Sarkozy voulait aller plus loin sur le Pacs, mais il a renoncé. François Hollande a renoncé à la PMA», lui rétorque la députée LREM Aurore Bergé. Comme elle, la LREM Cécile Muschotti estime que la majorité présidentielle «a un bilan à défendre sur les inégalités et les discriminations qui a tout son poids». Elle se félicite notamment de l’adoption, le 25 février dernier, de l’allongement du délai d’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse. Mais force est de constater que la loi fut votée in extremis, lors de la toute dernière semaine de mandature à l’Assemblée, grâce au revirement du gouvernement, après un compromis sur la double clause de conscience des médecins. Et ce contre l’avis d’Emmanuel Macron, qui s’est prononcé contre le texte à titre personnel.

Quid de l’égalité hommes-femmes, érigée en «grande cause du quinquennat» en novembre 2017? La majorité peut se targuer du congé paternité, allongé à un mois, et des réformes pour lutter contre les violences conjugales, Osez le féminisme n’y voit que des «mesurettes». Mais, s’il y a bien un sujet qui semble frustrer les parlementaires, c’est la question de la fin de vie. En témoigne la lettre de 300 députés datée du 7 mai dernier, sommant le premier ministre d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi Falorni pour une aide active à mourir – dont l’examen n’avait pu aller à son terme en avril –, restée sans réponse depuis. Signe de l’embarras de l’exécutif sur ce sujet. Emmanuel Macron, pour l’heure, reste ambigu, bien que son entourage laisse entendre que la fin de vie fera partie de son programme pour 2022.

Pour le politologue Philippe Portier, «si le discours (d’Emmanuel Macron) est plus amène que du temps de François Hollande, les réformes – que les présidences précédentes avaient déjà engagées – sont là et vont dans le sens d’un subjectivisme moral de plus en plus marqué». Pour le chef de l’État, «il est très difficile de freiner ce courant, analyse encore Philippe Portier. D’autant que, sur le terrain strictement politique, accorder des avantages sociétaux à ceux qui le demandent permet de donner du crédit à gauche à un gouvernement qui, sur le terrain économique, est plus à droite».

BÉNÉDICTE LUTAUD

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