La réforme de l’Europe sous l’aiguillon de Trump II

La menace d’une victoire de Donald Trump en 2024 sonne comme une incitation forte à accélérer sur la voie de l’« autonomie stratégique ». A charge pour l’UE de surmonter le « backlash écologique » qui pèse sur les prochaines élections européennes.

Par Pierre de Gasquet

Publié le 26 déc. 2023 à 6:30Mis à jour le 26 déc. 2023 à 7:13

Jusque-là, le premier sommet du « Grand Continent » ronronnait agréablement. Des séances de très haute volée, en présence des meilleurs experts européens de la transition climatique et de l’intelligence artificielle, étaient venus plancher sur la réforme de l’Europe, pour cette première édition d’un « mini-Davos » européen, organisée par la revue, du 18 au 20 décembre, à Saint-Vincent, dans le Val d’Aoste. Et puis, patatras !

Il aura fallu un historien écossais, Niall Ferguson – sceptique de longue date sur l’Union monétaire en Europe, mais aussi anti-Brexit -, pour jeter un pavé dans la mare en livrant ses pronostics sur l’élection américaine de 2024. Même si le spécialiste des crises financières et biographe de Henry Kissinger s’est parfois trompé – il misait sur l’échec du référendum britannique sur la sortie du pays de l’Union européenne (UE) -, il est l’un des rares à avoir pressenti la victoire de Donald Trump en 2016.

Cette fois-ci, il a voulu mettre les pieds dans le plat en lançant un ultimatum sans ambiguïté aux défenseurs de la réforme de l’UE : vous n’avez que dix mois pour vous réformer en profondeur si vous voulez espérer résister au tsunami Trump II.

« Ne vous leurrez pas : le second mandat de Donald Trump sera très différent du premier. A la différence de 2017, ils ont un plan radical. Ils n’hésiteront pas à rompre avec l’Otan. La crise de l’Ouest sera une énorme chance pour la Chine, la Russie et l’Iran», a lancé l’historien britannique.

Un tableau apocalyptique

C’est peu dire que l’historien conservateur a dressé un tableau apocalyptique des conséquences potentielles d’une éventuelle victoire de Trump.

Pour lui, le grand favori des sondages a désormais 60 % de chance de l’emporter face à un Joe Biden affaibli par la guerre au Proche-Orient. Et si l’Europe comptait sur Biden, la douloureuse réalité est qu’il s’est révélé un « protectionniste plus efficace que Trump » avec son Inflation Reduction Act (IRA) . Quant à l’ex-ambassadrice américaine auprès des Nations unies, Nikki Haley, la seule candidate républicaine alternative crédible aujourd’hui, elle n’a que 10 % de chance de l’emporter à ses yeux.

Au bout du compte, malgré les rêves d’« autonomie stratégique » caressés par Emmanuel Macron, l’Union européenne n’aura pas d’autre choix que de se reposer sur son allié américain pour sa sécurité à court terme et il reste «absolument vital» de maintenir l’alliance transatlantique.

Tout le monde n’a pas succombé aux sombres prophéties de ce « storyteller » hors pair, persuadé que le Brexit a été un coup de fouet efficace pour l’UE. Mais même le très placide et très europhile Enrico Letta, l’ancien président du Conseil italien chargé d’un rapport sur la réforme du marché unique, semble être sorti sonné par cette « douche écossaise ».

10 mois ou 10 ans ?

Pour cet Européen convaincu, c’est en partie grâce au Covid-19 et à Poutine, que l’Europe a amplement démontré sa capacité de réaction et de mobilisation, notamment à travers son plan de relance NextGenerationEU de 750 milliards d’euros, lancé en 2021. Mais l’Union ne peut pas se contenter de progresser sous la pression des crises à répétition.

Il plaide ardemment pour une réforme urgente du système de gouvernance de l’UE et l’abandon de la règle pernicieuse de l’unanimité dans la perspective de l’élargissement à l’est et de l’adhésion de l’Ukraine. Mais à la différence de Niall Ferguson, il pense que l’Europe a encore dix ans – et non dix mois – pour réformer sa gouvernance et consolider son rôle de protagoniste géopolitique indépendant en matière de chaînes d’approvisionnement, de technologie et de défense.

L’historien britannique est loin d’être le seul à avoir brandi l’éventail des menaces qui pèse sur la réforme de l’Europe dans un monde dominé par les guerres et le péril du bouleversement climatique.

Recomposition des droites

Présent au forum du « Grand Continent », l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce Pascal Lamy n’a pas caché son inquiétude face aux risques de répétitions du scénario de l’alliance entre le centre droit et l’extrême droite souverainiste de Nigel Farage qui a conduit au Brexit : « Je vois des scénarios de ce genre se développer ailleurs en Europe. ». Le thème du « backlash écologique » et l’idée que les droites se réorganisent autour de la résistance contre les politiques climatiques ont aussi largement dominé les débats sur la transition énergétique et climatique.

« On voit cela dans toute l’Europe. Il y a ceux qui nient le changement climatique, comme Geert Wilders aux Pays-Bas ou Matteo Salvini en Italie, et ceux qui combattent l »écologie punitive’ », confie le politologue Marc Lazar, un des meilleurs experts du populisme et des relations franco-italiennes.

Pour lui, la recomposition des droites sur les thèmes de l’immigration et de l’écologie est une des « grandes transformations politiques » en cours qui risque d’avoir des conséquences au Parlement européen.

L’Europe de Jean Monnet se nourrissait de rêves et de grands projets. Celle d’Ursula von der Leyen se nourrit d’angoisses et de frustrations. Face à la menace de l’électrochoc Trump II, il lui reste dix mois pour tester sa capacité de réforme.

Pierre de Gasquet