Les pays de l’Union européenne vont utiliser les bénéfices des actifs russes gelés pour financer les achats d’armes pour Kiev. Ils veulent aussi cesser d’importer des céréales de Russie en imposant des barrières douanières prohibitives.
Par Karl De Meyer, Vincent Collen
Le sommet des dirigeants de l’Union européenne s’est terminé en début d’après-midi vendredi. Les Vingt-Sept n’ont donc pas abordé, lors de ce conseil à Bruxelles, l’attentat de Moscou qui s’est déroulé quelques heures plus tard . Mais les décisions et orientations prises lors de ces deux jours de réunion concernent directement la Russie et l’Ukraine.
Les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres se sont entendus sur l’utilisation des produits issus des avoirs russes immobilisés sur le Vieux Continent , soit environ 200 milliards d’euros, pour aider l’Ukraine. Les Vingt-Sept attendent des revenus de quelque 3 milliards cette année et « des montants similaires au cours des années suivantes », a précisé la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Achat de munitions
Le « premier milliard » pourrait être versé à Kiev « dès le 1er juillet », a-t-elle déclaré. Ces fonds pourront servir « à 90 % pour l’achat de munitions », a précisé vendredi Alexander De Croo, le Premier ministre belge.
Les Européens ont pris cette décision en dépit des menaces de Moscou, qui a promis d’intenter des poursuites judiciaires « sur des décennies » en cas d’utilisation des avoirs gelés de la Russie.
Emprunt européen
Au-delà, les Vingt-Sept ont appelé à renforcer leur effort de défense. Les pays de l’Union européenne ont déjà augmenté leurs dépenses dans ce domaine « de 100 milliards d’euros » depuis le début de la guerre, selon Ursula von der Leyen. Pour aller plus loin, le conseil a validé la nouvelle stratégie présentée par la Commission le 5 mars pour renforcer les capacités industrielles de défense de l’Union.
Les leaders demandent à la Banque européenne d’investissement « d’adapter sa politique de prêt pour le secteur de la défense et sa définition actuelle de biens à usage dual ». Les Vingt-Sept espèrent ainsi pouvoir mobiliser plus d’argent privé pour des industries souvent regardées avec circonspection par les investisseurs institutionnels.
Les Européens réclament plus généralement à la Commission d’explorer toutes les options de mobilisation de nouveaux financements d’ici juin. Mais la mention de « sources innovantes » de financement qui figuraient dans un projet de conclusions initial a disparu.
Solution structurelle
Elle semblait ouvrir la porte à une réflexion sur l’émission d’obligations européennes, ce dont ne veulent pas entendre parler plusieurs Etats membres traditionnellement identifiés comme « frugaux », au premier rang desquels l’Allemagne et les Pays-Bas.
Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais gérant les affaires courantes , estime que les insuffisances de l’industrie de défense européenne ne sont pas assimilables à une crise comme l’a été la pandémie – contre laquelle les Vingt-Sept avaient mis en place un plan de relance avec endettement commun.
« Il y a une volonté commune »
Le Premier ministre belge s’est montré, de son côté, ouvert à des « eurobonds » pour certaines dépenses, par exemple la recherche-développement, car « elles débouchent un jour sur des revenus qui permettent de rembourser ». Sur ce projet d’obligations européennes pour la défense, « nous sommes au début du débat, pas à la fin », a estimé Ursula von der Leyen.
Emmanuel Macron, pour sa part, a réclamé des « instruments innovants qui permettent de lever de l’argent sur les marchés ». « Il y a une volonté commune, la prise de conscience est là », a-t-il assuré.
Les Vingt-Sept vont par ailleurs arrêter les importations de céréales en provenance de la Russie et de son alliée, la Biélorussie. Les volumes concernés sont faibles : environ 1 % de la consommation de l’Union européenne. Mais le sujet est politiquement sensible. La Commission a proposé de taxer ces importations, répondant à une demande insistante de Volodymyr Zelensky, le président ukrainien.
« Une hausse considérable »
Les futures barrières douanières devront être « assez élevées pour supprimer, en pratique, ces importations dans l’Union européenne », mais sans « affecter les exportations vers les pays tiers », en particulier les pays en développement, afin de ne pas perturber l’approvisionnement des marchés mondiaux, a expliqué la Commission.
Les céréales russes et biélorusses « ont jusqu’à présent pu entrer sur le marché européen avec des tarifs douaniers faibles ou nuls, et nous avons constaté une hausse considérable de ces importations en 2023 », a déclaré Valdis Dombrovskis, le commissaire européen au Commerce.
Opération déminage
Ce problème a été mis en lumière par les syndicats d’agriculteurs européens. « Globalement, le sujet n’est pas énorme. Mais pour certaines catégories de blé, à certains moments de l’année, les importations russes peuvent faire bouger les marchés, pénalisant des agriculteurs », décrypte Pascal Lamy, président émérite de l’institut Jacques-Delors.
Ces mesures s’inscrivent dans un contexte politique plus large où la colère du monde paysan met la pression sur Bruxelles à l’approche des élections européennes. La Commission et les Vingt-Sept sont aussi prêts à limiter les importations de produits agricoles d’Ukraine . « La Commission européenne est en opération déminage à l’approche du scrutin », explique l’expert.
Karl de Meyer et Vincent Collen (A Bruxelles)