Élections européennes : le sort du Pacte vert est-il vraiment réglé ?

Si la majorité des mesures du Pacte vert d’Ursula von der Leyen a été adoptée, l’ambiance politique n’est plus à l’écologie et, en fonction du résultat des élections du 9 juin, de nombreux reculs resteront possibles.

L’idylle écologique du printemps 2019 semble s’achever au sein de l’Union européenne. À l’approche des élections des eurodéputés qui composeront la dixième législature du Parlement européen, l’heure est au « green blaming », à savoir la construction d’un « épouvantail écologique », pour le collectif Construire l’écologie (1) formé autour du philosophe Pierre Charbonnier et de la militante Léa Falco. Dans l’atmosphère générale, les idées de « recul » ou de « simplification » pour mettre fin à une « accumulation de normes trop contraignantes » conduisant à une « écologie punitive » pullulent ces derniers mois. De quoi rendre le discours environnemental quasiment inaudible et finalement relégué au second plan.

Comment l’Europe en est-elle arrivée là ? Et en quoi ces nouvelles élections peuvent-elles modifier ou non la trajectoire et l’application du Pacte vert, ce socle législatif écologique autour duquel toute l’Union s’est mobilisée depuis cinq ans ?

L’euphorie du début

Le 26 mai 2019, lorsque les résultats des élections tombent, le camp écologiste se réjouit. Pour la première fois de son histoire, le groupe des Verts remporte 74 sièges (environ 10 % des voix). Certes, il n’est pas le seul à sortir son épingle du jeu : les nouveaux groupes Renew Europe, formé sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, et Identité & Démocratie, gravitant autour de Marine Le Pen, engrangent également de nombreuses voix. Mais la victoire est historique et signale un nouveau tournant dans la politique européenne, le Parti populaire européen (PPE), le groupe majoritaire depuis vingt ans, allait être forcé de composer plus étroitement avec le camp écologiste, mais surtout avec la volonté citoyenne sous-jacente.

Le vote des jeunes Européens depuis 2009, en comparaison de la population totale.© Institut Jacques-DelorsIl est en effet nécessaire de rappeler que les élections européennes de 2019 se sont déroulées en plein cœur du mouvement des grèves étudiantes pour le climat, surnommé « Fridays for future » à l’initiative de la militante suédoise Greta Thunberg, en août 2018. Ce mouvement international, en particulier européen, s’est amplifié deux mois plus tard par les conclusions du rapport spécial dit « 1.5 » du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) et s’est poursuivi jusqu’à atteindre deux pics de mobilisation, le 15 mars, puis le 24 mai 2019, à la veille des élections. Comme l’atteste Sylvie Matelly, la nouvelle directrice de l’Institut Jacques-Delors, « le vote des jeunes avait alors fait toute la différence ». Cette année-là, 42 % des moins de 25 ans s’étaient présentés aux urnes (contre 28 % en 2014 et 29 % en 2009, et par rapport à 50 % de la population totale) avec un sujet prioritaire en tête, encore d’actualité selon le dernier Eurobaromètre (2) (sondage de la population européenne par la Commission) : l’action contre le réchauffement climatique.

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C’est le nombre de sièges remportés par les écologistes lors des élections de 2019.Aussi, c’est en gardant cette variable en tête que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (PPE), a rapidement assis son programme autour d’un Pacte vert. Et elle a principalement focalisé ce dernier sur le paquet législatif Fit-for-55 fixant un objectif de réduction des émissions européennes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990, afin de garantir l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 – que le plan RePower EU renforcera ensuite en 2022. Dès lors, quoique bousculée par la pandémie de Covid-19 et l’adoption du plan de relance Next Generation EU, « la coalition centriste (PPE, Renew, écologistes, socialistes et sociaux-démocrates) a fonctionné et a permis l’adoption de textes ambitieux (électrification du parc automobile, élargissement du marché des quotas d’émissions, mécanisme d’ajustement carbone) (…) confortant le leadership vert de l’Union européenne parmi les grandes puissances économiques mondiales », résume le Groupement d’intérêt scientifique interdisciplinaire de recherche sur l’Union européenne (GIS Eurolab (3) ). Mais en 2022, confrontée à une crise énergétique et aux conséquences inflationnistes de la guerre en Ukraine, la situation marque un tournant.

Le retour de bâton

D’abord timidement, en septembre 2022, puis avec plus de force en mai 2023, des dirigeants européens « artisans » du Pacte vert, notamment Ursula von der Leyen et le président français Emmanuel Macron, sonnent la « fin de la récréation » et appellent à « rendre compatible le rythme des réformes environnementales avec les impératifs de sécurité alimentaire et de croissance économique ». En contre-champ, les protestations agricoles, commencées aux Pays-Bas en 2019 et soutenues par le nationaliste Geert Wilders, chef du Parti pour la liberté, envers des « normes trop contraignantes » se propagent dans le reste du Vieux Continent et s’intensifient, jusqu’à un point culminant en janvier 2024. Comme l’analyse le GIS Eurolab, « depuis 2023, la coalition centriste a été remplacée par une autre coalition entre la droite (PPE) et l’extrême-droite, parfois avec l’appui de certains députés Renew ou de gauche, (qui) a contribué au rejet de certains textes (sur la réduction de l’usage des pesticides) ou à leur atténuation (règlement sur la restauration de la nature, norme d’émissions automobiles, pollutions industrielles) », sans compter, plus récemment, sur une révision en urgence de la Politique agricole commune (PAC).

La question du coût

« De mon point de vue, l’enjeu majeur de la prochaine mandature reste l’avenir du Pacte vert, affirme Pascal Lamy, coordinateur du réseau des groupes de réflexion de l’Institut Jacques-Delors et ancien commissaire européen au Commerce. Le Pacte vert a été le marqueur principal de ce que les Européens ont imprimé comme nouveau mouvement à l’Europe, qui n’ait pas été en réaction à des événements externes (comme la crise sanitaire et la guerre en Ukraine). De fait, la nouvelle coalition, le nouveau centre de gravité, qui appuiera la future Commission européenne, sera poussée vers la droite. Là n’est plus la question, mais on peut encore s’interroger sur son ampleur et ses conséquences sur les défis à venir. »“ Personne ne remet en cause l’objectif de neutralité carbone à 2050, mais il est maintenant question de savoir comment y parvenir aux échelons nationaux et, surtout, avec quels moyens financiers ”Deux fonctionnaires bruxelloisPourtant, pour les services de la Commission européenne, le plus dur est passé avec l’adoption de la quasi-totalité du Pacte vert au cours de cette mandature, et les prochaines élections ne seront pas de nature à remettre les progrès accomplis en question. « Personne ne remet en cause l’objectif de neutralité carbone à 2050, mais il est maintenant question de savoir comment y parvenir aux échelons nationaux et, surtout, avec quels moyens financiers », expliquent deux fonctionnaires bruxellois proches de ces dossiers. Preuve en est la fréquence à laquelle la question des investissements a été posée durant le débat officiel, le 23 mai, des cinq principaux candidats à la présidence de la Commission (dont aucun n’appartient à un groupe d’extrême-droite). « Investir dans les technologies propres sera la tâche à laquelle je m’attèlerai durant ma prochaine mandature », a par exemple déclaré Ursula von der Leyen, candidate à sa reconduction, avant de promettre de privilégier désormais « l’incitation à la contrainte ». De son côté, le député italien Renew, Sandro Gozi, veut « éviter aux citoyens de payer pour la transition », tandis que la députée allemande coprésidente des Verts, Terry Reintke, prône une « modification dans la distribution des subventions et d’éviter tout retour à l’austérité ».

Dans une étude d’impact (4) publiée en février dernier, la Commission européenne estime nécessiter environ 540 milliards d’euros d’investissements publics et privés par an pour atteindre la neutralité carbone, sur la base de 1 160 milliards déjà dépensés en ce sens chaque année. De son côté, l’Institut Rousseau (5) , un laboratoire d’idées cofondé par l’économiste Nicolas Dufrêne et Chloé Ridel, l’une des porte-parole du Parti socialiste, mise plutôt sur une augmentation de 360 milliards par an (en s’appuyant davantage sur la sobriété énergétique et le report modal dans les transports que la Commission). Et d’avancer que « au-delà de permettre l’atteinte des objectifs de neutralité carbone et des enjeux directs en matière d’économie et de souveraineté, cette réorientation des investissements est souhaitable en ce qu’elle produira d’autres effets positifs » sur le long terme : en pouvoir d’achat, en emplois supplémentaires, en réduction des dépenses publiques ou des dommages sur la biodiversité.

Des reculs sont encore possibles

Cependant, plusieurs acteurs politiques européens voient encore d’un mauvais œil cette vision anticipatrice. C’est notamment dans cette optique qu’ils appellent, comme le député PPE François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains pour les élections, à « revenir » sur l’interdiction de la vente des voitures thermiques en 2035 comme la clause de revoyure du règlement qui l’encadre en laisse la possibilité. Du reste, les formations politiques de droite ou d’extrême-droite ne semblent pas avoir l’intention de laisser passer d’autres textes environnementaux encore sur la table : le règlement sur la restauration de la nature (en attente d’une adoption par le Conseil de l’Union européenne), la directive sur la protection des sols (pour laquelle le Parlement a déjà adopté une position), la directive-cadre sur la surveillance des eaux souterraines (idem) ou le seul texte restant du paquet « Fit-for-55 », la directive sur la taxation de l’énergie.

Face à tous ces dossiers potentiellement abandonnés ou détricotés, plusieurs organisations et professionnels concernés par la protection de l’environnement et le réchauffement climatique tirent la sonnette d’alarme. « Le débat électoral donne jusqu’à présent l’impression de passer sous silence ce sujet, de vouloir contester le Pacte vert, ou encore de considérer que le seul véritable enjeu pour la prochaine mandature est sa bonne mise en œuvre, se sont collectivement inquiétés, le 23 avril, cinq laboratoires d’idées : La Fabrique écologique, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), l’Institut Jacques-Delors, Confrontations Europe, l’Institut Avant-Garde et Le Lierre. Ces différentes attitudes laissent la porte ouverte aux renoncements ou aux décalages de calendrier défendus de fait par certains. » Le tout en écho à l’espace médiatique donné à des discussions autour de l’inflation, de l’immigration ou de l’éventualité d’une « Europe de la Défense » face à la menace russe plutôt qu’à l’écologie.

Plus sévères, des associations européennes de chercheurs (dont la Fédération européenne de l’écologie ou le collectif Scientifiques pour l’avenir) ont adressé, le 29 mai, une lettre (6) à la Commission européenne déclarant « s’opposer fortement à ces choix politiques qui accélèrent la survenue de crises évitables » et fustigeant un « état d’esprit anti-environnement chez de trop nombreux responsables européens ». Pendant ce temps, du côté des Européens (dans le dernier Eurobaromètre, mené en mars auprès de 26 000 citoyens des Vingt-Sept), 84 % d’entre eux demeurent conscients que l’Union européenne doit améliorer sa législation environnementale pour protéger l’environnement dans leur pays – une opinion inchangée depuis 2019.

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