La présidence de Donald Trump, un défi pour la cohésion de l’Union européenne

Affaiblie économiquement, secouée par la montée des extrêmes droites, l’UE est en situation difficile pour affronter les défis que pose le retour à la tête des Etats-Unis du républicain.

La tornade Donald Trump s’est levée sur le monde et, si elle n’a pas encore touché l’Europe, elle l’a déjà déstabilisée. Plus personne, pas même le président Emmanuel Macron qui en était le chantre, n’évoque cette « Europe puissance » en devenir, tant elle donne le sentiment d’être tétanisée par la victoire du républicain et son activisme forcené.

A la tête des institutions, on joue l’apaisement avec Washington, au risque d’être inaudible par les entreprises et les citoyens que la situation inquiète. La très transatlantique Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, qui attend toujours que la Maison Blanche lui accorde un rendez-vous, comme Antonio Costa, son homologue du Conseil européen, ont fait un choix, plus diplomatique que politique : celui de ménager Donald Trump, dont ils espèrent ainsi obtenir la mansuétude.

On les a si peu entendus quand le président américain a déclaré vouloir s’emparer du Groenland et faire de Gaza une « Côte d’Azur » ou lorsque l’entrepreneur milliardaire Elon Musk, à la tête de Tesla et du réseau social X, s’est invité dans la campagne électorale allemande pour soutenir l’AfD, le parti d’extrême droite. En optant pour la discrétion, « on risque de mettre en récit notre propre affaiblissement », juge l’eurodéputé (Renew) Pascal Canfin.

Pour l’heure, Donald Trump n’a pas encore concrétisé ses promesses de campagne concernant l’Europe. A Bruxelles, on espère pouvoir négocier avec lui, avant qu’il prenne des décisions sur l’avenir de l’Ukraine ou le financement de l’OTAN et de la sécurité européenne. Sur le volet commercial, Ursula von der Leyen a beau assurer que « l’Europe est prête » à riposter « avec fermeté » à coups de droits de douane si Washington devait imposer des surtaxes sur ses exportations, on est loin d’un discours qui installe un rapport de force.

« Il y a en Europe un mélange de fascination et d’effroi face à Trump », juge l’ancien ministre délégué chargé de l’Europe, Clément Beaune. Pourtant, l’Union européenne (UE), avec ses 450 millions de consommateurs, une base industrielle solide et une main-d’œuvre qualifiée, a des arguments à faire valoir. Ces dernières années, la deuxième économie mondiale a commencé à s’affirmer, notamment en se dotant d’instruments de défense commerciale. Elle a su affronter des crises majeures, après la pandémie de Covid-19 ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’UE promise à une « lente agonie »

Les Européens ont aussi laissé s’enkyster des déficiences structurelles majeures, qui aujourd’hui les affaiblissent considérablement. En plein décrochage économique face aux Etats-Unis ou à la Chine, l’UE est promise à « une lente agonie » si elle n’innove pas plus, martèle Mario Draghi, dans son rapport sur la compétitivité publié en septembre 2024.

« Cette croissance molle pose la question de notre capacité à assurer notre modèle d’une économie sociale de marché et alimente les populismes, constate Pascal Lamy, l’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce. Je ne suis pas sûr que l’UE résiste à l’épreuve Trump, pas plus qu’à l’épreuve Ukraine. Les dés roulent. »

Les élections européennes de juin 2024 l’ont montré, l’extrême droite progresse partout. En Hongrie, en Italie ou en Belgique, elle est au pouvoir. Elle pourrait bientôt l’être en Autriche et, aux Pays-Bas, elle gouverne avec la droite. Pour ces formations nationalistes, l’élection de Donald Trump est une bénédiction parce qu’elle valide leur agenda protectionniste et contre l’immigration, le wokisme ou le climat. « A notre tour d’occuper Bruxelles ! », lançait sur X, le 20 janvier, Viktor Orban, le premier ministre hongrois.

En Italie, l’un des pays fondateurs de l’UE, la présidente du conseil, Giorgia Meloni – Donald Trump la trouve « fantastique » –, a déjà signifié qu’elle ne jouerait pas forcément le jeu européen. Rome négocie en effet avec Elon Musk pour que Starlink sécurise ses communications militaires, alors même que le projet de constellation satellitaire européenne IRIS 2 vient d’être lancé.

Dans ce contexte, les Européens, qui doivent être unis pour peser face à un Donald Trump qui essaiera de les diviser, ont du souci à se faire. D’autant que le moteur franco-allemand est à l’arrêt, après la dissolution ratée d’Emmanuel Macron et l’entrée en campagne du chancelier allemand Olaf Scholz. « Au moment du Brexit comme du premier mandat de Trump, les Européens sont restés unis. Il n’y a pas de raison que cela ne se reproduise pas, veut croire le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad. Dans un monde qui avance sans nous, la réponse à apporter à Trump se trouve avant tout chez nous. »

En clair, les Vingt-Sept doivent faire plus pour leur compétitivité, leur sécurité et leur souveraineté. « Il faut faire nos devoirs », résume Ursula von der Leyen. Certes, mais il y a quelque chose d’incantatoire dans ces déclarations, alors que l’Europe de la défense a peu avancé depuis le début de la guerre en Ukraine, que le diagnostic du décrochage européen a été posé bien avant le rapport Draghi et que certains pays très attachés à la protection américaine, comme l’Allemagne, la Pologne ou les Etats baltes, n’imaginent pas couper le cordon.

La Commission a un ambitieux programme de travail, mais il lui faudra faire avec les lenteurs de la construction communautaire et éviter que les forces d’extrême droite, à Strasbourg ou à la table des chefs d’Etat et de gouvernement, travestissent ses intentions. De ce point de vue, sa décision d’opérer un « choc de simplification » présente un danger certain, pour l’avenir du pacte vert notamment. « En Europe, certains se disentque, sur le fond, Trump a peut-être raison. Il y a une forme de capitulation intellectuelle. Il déréglemente, on doit déréglementer. Mais notre destin n’est pas de faire du Trump light », prévient Clément Beaune. Sauf, peut-être, pour mieux s’affirmer face à Washington.

Virginie Malingre (Bruxelles, bureau européen)