Asie-Pacifique : comment la Chine a damé le pion aux Etats-Unis

L’accord de libre-échange conclu le mois dernier avec quinze pays d’Asie et d’Océanie est surtout à forte portée géopolitique. Mise à l’écart des courants d’échanges par les Etats-Unis, la Chine a profité d’une faute monumentale de Donald Trump, le retrait de l’accord transpacifique, pour revenir dans le jeu avec une autre formule, le RCEP. L’accord a finalement peu de contenu économique.

Par Michel De GrandiPublié le 18 déc. 2020 à 15:54

C’est un accord à forte portée géopolitique que la Chine a brandi mi-novembre. En annonçant la conclusion du plus large accord de libre-échange au monde, le partenariat régional économique global (RCEP), Pékin a volontairement mis l’accent sur des chiffres et des superlatifs pour lui donner une dimension toute particulière, puisqu’il n’inclut pas moins de quinze pays. En plus des dix de l’Asean (dont l’Indonésie, Singapour, le Vietnam, la Thaïlande ou encore la Malaisie) figurent le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Au total, ce nouvel espace commercial accueille environ 30 % de la population de la planète et représente une part équivalente du PIB mondial. En outre, il s’agit du premier accord qui lie les trois poids lourds que sont la Chine, la Corée du Sud et le Japon.

Faible contenu économique

Ce cadre posé, le régime de Pékin a fait sonner les trompettes de la victoire pour un accord – qui doit encore être ratifié par chacun des membres – au contenu économique relativement faible. « La boîte est énorme, mais ce qui se trouve à l’intérieur n’est pas considérable », résumait récemment Pascal Lamy, lors d’un récent colloque organisé par la Chambre de commerce de Paris. Certes, l’accord devrait faciliter le fonctionnement des chaînes de valeur dans la zone asiatique à travers un ensemble commun de règles d’origine, ce qui rendra plus fluide la circulation des biens entre les quinze membres. C’est une bonne façon de renforcer l’interdépendance des économies et donc l’intégration régionale. Mais là n’est pas l’essentiel.

Le RCEP, c’est avant tout une pirouette réussie de la Chine vis-à-vis des Etats-Unis. Au lendemain de son annonce, la presse officielle chinoise saluait d’ailleurs cet accord comme une « victoire du multilatéralisme et du libre-échange » face à « l’unilatéralisme » des Etats-Unis.

L’erreur de Trump

Pour bien comprendre les enjeux diplomatiques et commerciaux, il faut remonter aux toutes premières heures du mandat de Donald Trump, en janvier 2017. A peine était-il arrivé dans le bureau ovale de la Maison-Blanche que sa première décision fut de faire sortir les Etats-Unis de l’accord commercial « partenariat transpacifique » (TPP), qui englobait alors onze pays. Ce vaste ensemble commercial avait été imaginé à l’origine par l’administration Obama pour isoler la Chine d’une zone de libre-échange incluant les pays situés de part et d’autre du Pacifique. En signant ce décret , le nouveau locataire de la Maison-Blanche a sans doute commis l’une de ses erreurs les plus grossières : il a laissé vacante la place de son pays dans l’espace commercial Asie-Pacifique.

Il n’en a pas fallu davantage à la Chine, alors même que la guerre commerciale n’avait pas commencé, pour reprendre la main et revenir en maître dans le jeu multilatéral et asiatique en s’intégrant au RCEP. Cet ensemble avait été imaginé quelques années plus tôt par les pays d’Asie du Sud-Est, et notamment Singapour, soucieux déjà de mettre en place un plan B face au TPP.

Calendrier

Dans le bras de fer qui oppose Pékin à Washington, l’annonce de cette signature finale prend une allure savoureuse dans un calendrier qui ne doit rien au hasard. Le RCEP est dévoilé par Pékin en toute fin de mandat du président américain , comme si la Chine, en guise d’adieux, s’était ingéniée à lui faire un ultime pied de nez en lui montrant qu’en Asie elle restait le boss. Confirmant au passage l’érosion de l’influence américaine dans la région. Donald Trump a dû apprendre, à ses dépens, que la Chine ne laissait jamais un espace vide trop longtemps.

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Membres communs aux deux organisations

L’avènement du RCEP soulève une autre question. Sept de ses membres fondateurs figurent aussi dans le TPP remodelé en 2018 après le départ américain. Il s’agit notamment de l’Australie, du Japon, de la Malaisie, du Vietnam et de Singapour. Cela illustre l’ambivalence des producteurs asiatiques vis-à-vis de la Chine. Ils ont voulu bénéficier du parapluie américain tout en ayant accès à l’atelier du monde. Résultat, après avoir adhéré au TPP, ils ont rejoint le RCEP.

L’Inde, cavalier seul

Seule l’Inde reste en marge. Elle a quitté les négociations du RCEP en 2019 par crainte de voir les produits de la Chine, sa grande rivale, inonder son marché une fois les droits de douane réduits sur environ 80 % des importations. Selon le quotidien indien « The Economic Times », le déficit commercial entre la Chine et l’Inde atteint 60 milliards de dollars en faveur de la Chine. Une baisse des tarifs douaniers aggraverait également les déficits commerciaux de l’Inde avec onze des quinze pays. En Inde, la moindre ouverture du marché reste un sujet hautement sensible et New Delhi se montre vigilant. Sans doute les autorités prennent-elles moins de risques en s’inscrivant dans le sillage des Etats-Unis et en s’érigeant en relais de l’axe indo-pacifique. Une ligne politique développée par les Etats-Unis, qui s’appuie sur des partenaires comme le Japon et l’Australie, consiste à isoler la Chine dans la région.

A ce niveau, une inconnue demeure. Elle concerne la décision que prendra l’administration Biden vis-à-vis du TPP. Il est peu probable que le nouveau président, démocrate, choisisse de rejoindre une zone de libre-échange dont il a lui-même dénoncé le principe. Moyennant cependant quelques aménagements de principe, cela permettrait aux Etats-Unis de reprendre pied dans une zone où se concentre la majeure partie de l’industrie manufacturière mondiale.

Michel De Grandi

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